Le rat des villes et le rat des champs – Septembre 2019

Ceux qui ont fréquenté l’Ecole primaire dans nos régions se souviennent d’avoir appris, du moins lu, cette fable de La Fontaine.

Le rat des villes, hôte courtois et raffiné, amateur friand d’ortolan, s’effrayait au moindre bruit tandis que son cousin de la campagne, fruste et habitué à moins de fastes, gardait la tête froide dans l’adversité.

Les siècles ont passé, la dichotomie demeure, mais l’écart de conceptions s’est affiné. Le citadin s’est façonné à l’épreuve des grandes agglomérations, de leur diversité sociale, mais aussi ethnique, ce qui lui a permis de prendre de la hauteur et d’effilocher des entraves devenues pesantes dans un monde en mouvement incessant, tout en aiguisant son sens critique. Cette évolution a généré un mode de vie plus sophistiqué sans le rendre pourtant exagérément attrayant comme on le constate depuis peu avec les mouvements de retour vers une nature rousseauiste par trop idéalisée.

Cette nature, cette campagne ont évolué elles-aussi mais souvent dans un sens de repli et de souci de conserver une philosophie de plus en plus surannée. Les antagonismes se sont creusés et ont abouti à un climat d’incompréhension auquel nous sommes de plus en plus confrontés.

Des passerelles ont parfois été édifiées entre les deux mondes : le cas de la Suisse avec l’UDC en est un bon exemple ; parti agrarien avec une solide implantation paysanne, il a lentement pénétré les villes et séduit nombre d’électeurs nostalgiques des traditions passées. Quelques ténors comme C.Blocher, rompu aux arcanes de la politique nationale et fort d’une expérience industrielle (rarissime chez les politiciens !) ou encore le rusé U.Maurer, qui, récemment, ne s’est pas laissé impressionner par D.Trump ou le leader chinois, ont contribué à « désagrairiser » le parti d’origine en gagnant des voix urbaines. Le rat des champs est donc parvenu à se creuser un terrier dans les villes.

L’inverse est plus rare et concerne essentiellement des banlieues où une forme d’intelligentsia urbaine s’est progressivement implantée ; pensons par exemple aux anciennes communes agricoles jouxtant la ville de Zurich qui se sont muées en zones d’habitation « chic ».

Si l’on examine les circonstances de la désignation de M.Trump, on arrive au même constat. Les villes à la population d’éducation modeste, et comprenant moins de 50’000 habitants ont majoritairement voté en faveur du candidat républicain tandis que les grandes agglomérations choisissaient Mme Clinton.

Le même constat est enregistré pour le Brexit : les grandes villes anglaises accompagnées par l’Ecosse et l’Irlande du Nord, ces dernières pour des raisons d’identité historique, ont voté pour le maintien dans l’Union tandis que les banlieues modestes et les zones industrielles ont privilégié la séparation. Plus récemment M.Erdogan, en dépit de son acharnement à nier des premiers résultats électoraux, a dû admettre de mauvais gré que seule la campagne votait encore majoritairement pour lui tandis que les grandes villes kémalistes, jouaient la carte de l’opposition et de l’ouverture vers le Monde…

Quant au trop fameux mouvement français des gilets jaunes, il témoigne de l’insatisfaction quasi institutionnelle qui caractérise la France et du hiatus entre la Capitale, les grandes agglomérations et la Province.

Ce qui précède n’est pas un exercice purement académique ; il tend à prouver que dans toute union, tout rapprochement, il faut prendre en compte les sensibilités locales (voir à cet égard la monstrueuse bévue de M.Cameron qui a engendré le Brexit sur la base des mauvaises appréciations de son entourage.) Les peuples ne s’y trompent pas ; il suffit d’observer la faveur dont jouissent les patois ou la recherche nostalgique (ADN à l’appui) des grandes ethnies comme les Celtes, les Ibères, les Germains ou les Thraces.

C’est la principale pierre d’achoppement de la Communauté Européenne ; une intégration à la hussarde a heurté les particularismes ancestraux des peuples et réveillé de mauvais démons. Les nouveaux dirigeants européens feraient bien de s’en souvenir s’ils ne veulent pas que la Communauté poursuive son érosion. L’Histoire a en effet démontré à maintes reprises que les empires pourrissaient d’abord par leurs frontières extérieures avant de disparaître !