Le vol était supervisé par un robot grandeur nature, à l’image de C-3PO, la créature vermeille de Star Wars. D’emblée, le « guide-pilote » annonçait qu’il avait subi un bombardement cosmique, que certaines de ses fonctions s’étaient altérées et que, par conséquent, les voyageurs devaient s’attendre à des turbulences, voire des incohérences au cours de la traversée.
C’était effectivement le cas et les voyageurs étaient brinquebalés dans tous les sens sur leurs sièges, avec en apothéose, l’ouverture par inadvertance de la grande porte vitrée frontale qui les séparait de l’abime vers lequel ils avaient le sentiment d’être précipités.
Ce sentiment d’insécurité, d’appréhension, de peur parfois, une bonne partie du monde le ressent, y-compris un grand nombre d’Américains, qui ne parviennent plus à s’identifier à leur leader élu il y a plus de deux ans. Celui-ci, à peine désigné, s’est mué en grand nettoyeur de son entourage : en quelques mois, il épura son équipe d’une quarantaine de personnes, souvent qualifiées, mais qui avaient eu la malencontreuse idée de se montrer sceptiques à l’égard du vaste plan de réformes concocté par leur patron. Ces évictions progressives eurent une conséquence, l’obéissance inconditionnelle des rescapés face au chef. On en a eu une récente démonstration en Suisse lors de l’entretien accordé par le secrétaire d’Etat Mike Pompeo au journaliste D. Rochebin : on se serait cru 50 ans en arrière, au paroxysme de la guerre froide. !
Le locataire de la Maison blanche qui rêve peut-être d’ailleurs d’en être le propriétaire, ne tolère aucune obstruction et a le don de se mettre à dos le monde entier (on devrait plutôt dire le Monde avec un grand M). Il est en froid avec le Canada, l’Amérique du Sud (hormis le Brésil dont le Président J. Bolsonaro joue aux émules), l’Europe bien sûr, la Corée du Nord (les fiançailles ont été de courte durée et il est malaisé de vouloir intimider un dictateur extrême-oriental, de surcroît à la troisième génération !), la Chine et la Russie, sans oublier l’Iran, le Mexique, en sursis, l’Australie ou l’Inde, ce qui représente grosso-modo plus de 40% de la population mondiale.
La « guerre économique » avec la Chine est la plus absurde et périlleuse pour de multiples raisons : des centaines d’entreprises américaines ont ouvert des usines en Chine afin d’y produire à moindre coût. Ces produits à bas prix sont en fait d’origine US ou devraient être considérés comme tels. Last but not least, la Chine est l’un des très gros créanciers des Etats-Unis : un froncement de sourcil et les Chinois cessent de souscrire aux bons du trésor à court et long terme d’où un asséchement brutal des liquidités outre-Atlantique et une explosion des taux. On en a déjà eu un avant-goût avec la remontée des cours de l’or, pourtant dans une phase baissière, sans parler des terres rares indispensables à la nouvelle technologie.
M. Trump, sans ciller, joue avec les droits de douane. Face aux protestations chinoises, il recommande de dévaluer le yuan afin d’atténuer l’impact de la charge, en insistant, avec une pointe de jalousie, sur la facilité avec laquelle les Chinois pourraient entreprendre cette manœuvre alors que lui, a affaire à la FED qu’il souhaiterait vainement avoir à sa botte. Dans un autre domaine, il décide de diminuer la contribution américaine à l’OTAN alors que les Américains sont les plus grands fournisseurs d’armes de cette institution. Parlant avec mépris de l’Europe, il clame qu’elle est plus petite que la Chine mais plus méchante !
Le problème avec ce président, c’est qu’il utilise les méthodes employées pour étourdir certains animaux. A forcer de tweets, de déclarations quotidiennes à l’emporte-pièce, sans parler du nombre de traités internationaux vitaux qu’il a purement et simplement déchirés, il bouleverse totalement et désoriente le frêle équilibre mondial. On ne peut pas gérer un pays de la taille des Etats-Unis à la façon d’un casino à Las-Vegas en flattant les fournisseurs et leur accordant des tickets d’accès gratuits. A la moindre observation, il rétorque et se défend en arguant de la bonne tenue, avec des sauts de carpe, du marché des actions, mais Wall-Street n’est pas le seul baromètre du bonheur mondial. Par ailleurs, en affrontant la Chine et la Russie, il a provoqué un rapprochement de ces derniers ce qui n’est pas très constructif pour l’Occident. Nouvelle positive cependant : les entreprises américaines prennent conscience de l’incohérence dans la politique de l’Exécutif ; des centaines d’entre-elles ont écrit à la Maison Blanche afin que les droits supplémentaires sur les produits chinois soient annulés en espérant peut-être que C-3PO ne soit plus du prochain voyage !?
L’entreprise de démolition des acquis sociaux élaborés par B.Obama bat son plein et s’inscrit dans la manœuvre de replis sur soi entamée par le Grand Blond à la cravate rouge et pendante. L’histoire a prouvé qu’après des débuts en fanfare, ces rétrogradations ont toujours eu des résultats catastrophiques, surtout dans un monde où les interconnexions rendent vaines les manœuvres isolationnistes. On l’a déjà mentionné, le Grand Blond se targue du parcours exceptionnel de la bourse depuis le début de son mandat ; il a la mémoire courte ou du moins sélective : depuis le début de son mandat, la bourse a crû certes de 22%, la moitié cependant du gain calculé pour la même période pendant l’ère Obama ! Un leader mondial ne peut éternellement influer sur la planète par des tweets quotidiens, des déclarations à l’emporte-pièce et un parcours de stop-and-go incessants avec comme conséquence, parmi d’autres, de brusques accélérations ou décélérations des marchés, sans commune mesure avec la réalité économique.
L’Europe empêtrée dans ses byzantineries de micro-politique est coresponsable de ce laisser-aller. Il n’y a guère que M.E.Macron qui ait une vision globale alors que Madame May , peu avant son départ, se fait insulter par le cousin américain, que la chancelière allemande prépare fébrilement sa sortie, sans parler des Italiens nostalgiques des années brunes. Seul le président français a une approche de résistance cohérente en s’efforçant de mettre enfin sur pied une armée continentale. A la force, on ne peut répondre que par une démonstration de force.
En marge de ces considérations, il y a un tout-autre phénomène qui passe quasi-inaperçu : le gonflement du volume des transactions de grandes valeurs suisses comme Nestlé, Novartis, Roche ou les compagnies d’assurance pour n’en citer que quelques-unes. Des millions de titres sont échangés quotidiennement ; avec leur taux de rendement avoisinant les 3 %, revu à la hausse chaque année, on peut se demander si certains grands investisseurs, lassés par les rodomontades de l’un, la perplexité de l’autre ou l’ambivalence d’un troisième, ne reviennent pas sur un terrain plus stable à l’abri de séismes devenus récurrents.