La vieille dame -Décembre 2018

La bourse est une vieille, très vieille dame ; parfois elle visite, parfois même elle est indigne. ** Sa date de naissance est assez floue : on la situe au 13ème siècle quelque part en Italie,

puis à Venise en raison du trafic maritime international ; plus en avant encore, à Paris.

Sa vie a toujours été trépidante, sans vrais temps morts, hormis pendant les guerres et encore. Elle a tout connu ; l’époque des découvreurs, la folie des tulipes noires hollandaises, la naissance de l’Amérique, le triomphe de l’empire britannique avec le développement planétaire de Lloyds etc.

Il y eut aussi de graves atteintes à sa santé sans qu’elle n’en fût véritablement responsable. En coulisse, elle a effectivement un ennemi féroce, heureusement stupide : la politique. C’est la politique, par manque d’audace et de clairvoyance qui a provoqué la crise de 1929 ; c’est la politique encore par le repli sur soi de Reagan, qui tétanisa l’économie américaine – on ne peut d’ailleurs se remémorer cette période et ses effets sans songer à la politique de l’actuel occupant de la Maison Blanche – c’est encore la politique, cette fois-ci cupide, qui créa le désastre de 2008. Lehmann Brother pouvait aisément être sauvé mais l’exécutif voulait un bouc émissaire, ce qui entre parenthèses, faisait le beurre de ses concurrents et de financiers équivoques fourvoyés dans la politique.

L’affaire des surprimes faillit tuer à nouveau la vieille dame : heureusement qu’elle a une santé de fer ! il aurait pourtant fallu peu de directives pour empêcher ce désastre: recommander aux pauvres petits propriétaires de ne pas se laisser leurrer par du crédit facile, pourchasser ceux qui en faisaient leur business à la commission, réglementer avec une extrême sévérité les établissements « béatificateurs » qui transformaient des créances pourries en papiers internationaux recherchés, sans parler de l’incompétence crasse du gouverneur d’alors de la Banque européenne, cramponné à une politique de taux obsolète. La bourse, avec effarement assistait au massacre et s’en ressentait cruellement quelle que fût la qualité de ses composantes.

On peut d’ailleurs être déconcerté par la commémoration hypocrite de la période 2008-2009. C’est un épisode honteux qu’il conviendrait d’oublier en en tirant des leçons. Des manœuvres tendancieuses, on a en eu encore récemment sous forme de la mise en garde d’un gérant de portefeuilles britannique, assorti d’un broker qui, de but en blanc se mit à démolir le secteur du luxe et ses composantes : LVMH, Hermès, Kering et autre Prada. Sans être machiavélique, on ne peut s’empêcher de s’étonner de ce bicéphalisme en imaginant qu’avant d’affoler un secteur, le gérant a pu prendre certaines précautions dont la prise de positions en dérivés.

Ces dérivés justement, sont autant d’enfants conçus dans le dos de la vieille dame. Ils n’ont rien à faire avec une bourse classique, leur croissance exponentielle faisant les choux gras des seuls émetteurs avides de commissions, mais irresponsables vis-à-vis des catastrophes qu’ils vont engendrer.

Lorsque cela arrivera, la vieille dame sera fortement commotionnée, demeurera étourdie pendant une longue période avant de recouvrer finalement ses esprits, comme à son accoutumée. En attendant, pour l’année 2018, elle l’achève avec des ecchymoses à l’âme, moins pour des raisons économiques qu’en vertu de l’atmosphère lourde et délétère distillée à nouveau par des politiciens incapables, voire dangereusement imprévisibles, que ce soient l’escogriffe de la Côte-Est, une chancelière qui s’achemine vers la sortie ou une pitoyable premier-ministre britannique qui se débat dans l’héritage marécageux de son prédécesseur.

Il n’y a guère que le Président français, peu soucieux des sondages, qui entreprend un patient travail en profondeur de remise sur rails de l’économie. L’antagonisme entre la politique et la vieille dame est essentiellement dû au don d’anticipation de cette dernière. Elle décèle les frémissements de l’économie et anticipe dans le sens positif ou négatif ce qui en résultera à moyen terme. La politique, arrogante et boursouflée, n’apprécie pas ce « commandeur » de l’ombre et cherche parfois à le museler, sans succès dans la durée, hormis de violents accès de colère de l’intéressée !

**Avec l’aimable contribution de F.Dürrenmatt et R.Allio.