Il y a quelques mois, nous avions consacré un paragraphe d’une chronique à la fermeture à Genève de deux commerces emblématiques : Rasora et Girard aux Grottes alors qu’aujourd’hui la vénérable Maison Gras clôt aussi ses portes.
Le mouvement s’amplifie, les commerces individuels ferment les uns après les autres au profit d’immenses surfaces anonymes où les acheteurs passent des week-ends entiers, à se saouler de musique de fond hallucinogène tout en confiant leur progéniture à des bacs de sable douteux et grouillant de bactéries, ou des châteaux de plastique ternis par l’ abondante transpiration enfantine.
Pour l’heure, seul le grand luxe échappe au massacre en conservant et aménageant des boutiques aux endroits stratégiques, mais les devantures aveugles ou en voie de fermeture faute de chalands se multiplient ; les supermarchés évoqués plus haut succombent eux-aussi progressivement à cette malédiction, et il n’est pas rare, dans le concept de « shops in the shop » de voir des vitrines qui progressivement s’obscurcissent et sont remplacées par de lourds rideaux de fer. Les cafés et restaurants tirent de justesse leur épine du jeu, à condition de se situer sur des rues passantes ou d’être étoilés. Dans les banques, les apprentis-caissiers ont cédé la place à des automates qui ont le mérite d’être compétents une fois qu’on en a mémorisé l’accès.
Dans les villes à caractère touristique, un segment commercial se développe encore paradoxalement: des agences immobilières se disputant souvent les mêmes objets, et ne contribuant guère à animer les rues.
Depuis quelques années, la phrase à la mode est « Je l’ai trouvé sur Internet ! »
Ce qu’on appelle communément l’e-commerce se révèle extrêmement destructeur. Il freine les déplacements des gens qui parfont leur cellulite en passant des heures devant leur ordinateur, sortant parfois, hagards, pour examiner de-visu l’article qu’ils ont repéré sur l’ écran, au grand dam du commerçant survivant qui se mue progressivement en animateur d’exposition à l’image des hôtesses du Salon de l’Auto.
Ce recours progressif à l’ordinateur pour les achats est pernicieux et destructeur. Les gens âgés se sentent perdus ; leurs boutique de quartier conviviale disparaît et avec elle, un point de rencontre, ce qui incite des gens encore en pleine forme, mais quasi abandonnés par le monde social et économique, à chercher refuge par défaut dans des EMS ou autres asiles déjà encombrés. Des commerces d’outillage, de confection, d’épicerie, voire de fleurs disparaissent du tissu économique. Les villes et les rues sont de plus en plus désertes n’abritant la nuit que des loubards à la recherche d’un sac à main facile à arracher ! Le Politique, avec un grand P, l’Economie avec un grand E, le bien-être social doivent se saisir le plus tôt possible de ce problème aux conséquences mortifères en recourant à la seule arme classique de dissuasion à disposition : l’Impôt !
On ne peut pas béatement et impunément continuer de s’extasier devant les performances d’Amazon, EBay ou autre Ali-Baba qui fructifient par la misère : les fermetures de magasins, le licenciement de personnel qualifié au profit de manœuvres de moindre qualité, l’augmentation de surfaces commerciales vacantes, la désertification des agglomérations et l’abrutissement des internautes.
Si on introduisait des taxes de 30 ou 40%, voire davantage, sur les achats de l’e-commerce, ce dernier serait ramené à des proportions plus mesurées empêchant ainsi que des pans entiers de l’économie et du tissu social ne s’écroulent totalement.
C’est terriblement urgent !