Tachycardes s’abstenir – Février 2018

Dans notre chronique de septembre dernier, nous avions évoqué le développement hors-nature des crypto monnaies et le danger qu’elles représentaient pour un système financier, parfois brinquebalant,

mais qui a passé bien des épreuves avec succès en raison de l’adaptabilité des entreprises : à cet égard, la Suisse est un cas d’école.

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », la formule de Lavoisier n’a pas pris une ride, mais on ne peut s’empêcher de l’évoquer face aux sauts violents des Bitcoin et autres Ether. A la base de leur « création », il n’y a rien, hormis de laborieux calculs au moyen d’ordinateurs puissants qui cherchent à résoudre des équations à plusieurs dizaines de chiffres, le tout représentant une invraisemblable consommation de courant, à tel point que des miners doivent s’égarer et s’établir dans des vallées aux accès fréquemment obstrués par des avalanches, mais qui présentent un seul atout, à savoir que l’électricité y est bon-marché, et pour cause !

Quelques lecteurs nous ont reproché notre absence d’imagination, notre ringardise et notre détermination à refuser l’innovation. Dans la première quinzaine de janvier pourtant, un acteur de poids, Warren Buffet, s’est rallié à notre scepticisme dans le cadre d’une interview accordée à CNBC ; interrogé sur les perspectives des crypto-monnaies, il leur a clairement prédit un avenir funeste : « A bad ending ».

L’avis d’un sage comme l’animateur de Berkshire Hathaway est à prendre en compte.

A part ses aphorismes légendaires ; « C’est à la marée basse qu’on voit ceux qui sont nus » ou « Si vous n’êtes pas prêt à conserver une action dix ans abstenez-vous », il s’est distingué par ses conceptions simples et concrètes en matière d’investissements : des entreprises reconnues, une activité aisément identifiable, une croissance régulière de cette dernière, accompagnée d’une distribution progressive des bénéfices aux actionnaires. A ce propos, et c’est probablement l’une des rares choses qu’on puisse lui reprocher, ses fonds ne distribuent rien ; si on a besoin de liquidités, il convient de vivre frugalement comme lui ou vendre des parts. Cette forme d’épargne sous contrainte a des vertus mais peut parfois être rébarbative.

Quoi qu’il en soit, on comprend aisément que la philosophie pragmatique de l’oracle d’Omaha, soit aux antipodes des monnaies virtuelles. L’épiphénomène que représentent les crypto-monnaies est un schéma assez classique après une longue période d’euphorie, en l’occurrence boursière, comme nous l’avons connu depuis plusieurs mois, une sorte de bouquet final marquant la fin du spectacle.

En fait, les exubérances passées ne parviennent pas à voiler un sentiment de malaise général, une sorte de calme avant l’ouragan, qui caractérise les marchés. Des chiffres d’abord : l’effondrement du dollar par rapport à l’Euro, de même pour le dollar-index qui a abandonné plus de 10%.

D’autre part, est-ce normal que des centaines de chaînes de télévision consacrent des dizaines de reportages à la santé physique, accessoirement mentale du leader de la plus grande puissance mondiale ? C’est du jamais-vu. Est-ce acceptable que le même leader singe devant des millions de téléspectateurs un malheureux journaliste handicapé ? À ce niveau de pouvoir, il y a des limites à l’indécence et on ne peut que prier le Ciel pour qu’il n’y ait pas de péril de conflagrations mondiales avec un tel commandant.

Sur le plan strictement boursier, notamment américain, les titres sont traités à un fort multiple (plus de 30 fois les bénéfices estimés) alors que le total des dettes de l’industrie ou de prêts sur titres avoisine les 56% du GDP, soit le niveau de 2008 tandis que les dettes des ménages dépassent 13 trillions ; sur dix dollars de revenus, un est consacré à éponger des dettes ! Même le taux de chômage dont se gargarise le président, qui entre parenthèses dépense à tour de bras tout en diminuant les recettes, ce qui contraindra le Trésor à emprunter près d’un trillion en 2018 avec des taux en augmentation, n’est ni unique ni immuable ; il était identique en 1990 et 2000, peu avant de fortes réactions des marchés. Enfin, le « sentiment index » qui reflète l’opinion, inversée du public (le pauvre public se trompe systématiquement, à telle enseigne que sa propension à l’erreur est devenue un indice de référence !) est proche des données de l’an 2000 avec les conséquences qu’on a vues.

Conclusion de ce qui précède : ne pas paniquer, se concentrer sur les titres de qualité à rendement, si possible croissant, garder du cash pour des besoins d’une année, acquérir quelques pièces d’or, au cas où, et laisser jouer et perdre les « miners » et autres adeptes avec leurs crypto monnaies.