La nostalgie du bâton – Novembre 2017

Ainsi donc, dans des circonstances contrastées, un certain nombre de Catalans envisage à plus ou moins long terme, de se séparer de l’Espagne dans des conditions à définir, mais qui s’annonceront d’ores et déjà traumatisantes,

au diapason des désastres politiques qui ont ébranlé et affaibli le pays dans le passé en lui faisant courir le risque d’éclater. Que ce soit au 15ème siècle, au 19ème ou au 20ème, l’Espagne a connu des cataclysmes dont elle a eu un mal inouï à se remettre. En l’occurrence, des milliers d’entreprises, et non des moindres, ont d’ores et déjà quitté la Catalogne, le préjudice dépassant à ce jour les 4 milliards d’euros sans parler des répercussions catastrophiques sur le tourisme.

Il est fort à parier que le mouvement va faire des émules plus sereines dans trois ou quatre pays européens comme l’Italie, la France, la Grande-Bretagne ou l’Autriche dont plusieurs régions rêvent d’indépendance. Parallèlement, des tendances locales plutôt sympathiques s’affirment, comme la résurgence des patois ou des danses folkloriques tombées dans l’oubli.

Ces mouvements représentent le prix réactif à payer pour la reconstruction à trop grande vitesse, à l’origine par des politiciens de bonne volonté, d’une Europe démantibulée par une succession de conflits sanglants.

On peut établir un certain parallèle, en négatif, avec le partage à la règle d’école, du Moyen-Orient dans les années 30,consistant à trancher des déserts en deux ou en trois parts, sans tenir compte des particularités tribales ou des dialectes, avec le seul souci de démantibuler à la va-vite les ruines de l’Empire Ottoman et les remplacer par des gouvernements fantoches.

Au fil des décennies pourtant, des personnalités autoritaires se sont affirmées dans plusieurs des « pays » remodelés, par exemple en Iran, en Irak, en Syrie ou en Lybie au grand dam des apprentis cartographes. En marge plus lointaine de ces pays, on compte l’Egypte et l’Afrique du Nord ou les régions bordant l’Est de l’Adriatique.

Globalement les résultats furent plutôt positifs ; certes, les droits de l’Homme, encore qu’à l’époque le concept fût encore dans les limbes, furent souvent écornés.

Il n’en demeure pas moins que souvent les pays concernés connurent un démarrage spectaculaire : l’Iran du Shah, d’inspiration laïque, avec une industrie d’exportation en plein essor, la Yougoslavie de Tito, numéro un de la croissance européenne pendant plusieurs années, la Lybie même, en dépit du folklorisme de son leader, avec le meilleur taux d’alphabétisation de toute l’Afrique et la représentation féminine prépondérante dans les universités. Même l’Egypte avec Moubarak, connut un développement spectaculaire de son tourisme ; de même pour la Tunisie de Bourguiba etc.

C’est alors que le grand frère protecteur américain, à l’Histoire immaculée, connu pour la douceur de ses mœurs, sa tolérance envers les minorités, l’exquise urbanité de ses dirigeants, entreprit d’exporter son idéal de démocratie, à grand renfort de complots, de lutte d’influence et de corruption des oppositions. Les effets ne se firent pas attendre ; les populations attachées d’une façon atavique à l’idée d’avoir des chefs de clan, remplacèrent rapidement leurs leaders laïques par des religieux, avec les résultats régressifs que l’on connaît et qui progressivement, mais d’une façon continue. débordent sauvagement dans nos régions : on l’a vu récemment.

Et la Suisse dans tout ça ? Tous nos visiteurs, heureusement nombreux, s’accordent à encenser la paix parfois pesante, qui règne encore dans le pays, un des derniers Etats de droit, la coexistence entre trois, voire quatre cultures, sans compter plus d’un cinquième de population d’origine étrangère. L’administration fonctionne, les chefs de partis et ministres se promènent dans les rues sans garde de corps, leurs voitures lorsqu’ils les utilisent, ne sont pas blindées et ils n’hésitent pas à se mêler à la foule sans cordon de protection.

Ce que les étrangers oublient, c’est qu’ils ont à faire avec un vieux pays qui pendant plus de six siècles, avant de parvenir à cette harmonie, a connu l’horreur dans tout ; les guerres intestines, souvent religieuses : les pires, les massacres odieux, les tortures raffinées, les persécutions de toutes sortes, les bannissements institutionnalisés, les confiscations autoritaires, bref le paroxysme de que la perversité humaine peut concevoir.

C’est le long prix qu’il a fallu payer avant d’arriver à la situation actuelle. Cette douloureuse et pénible accumulation d’expériences est la toile de fond de la culture de nos entreprises.

On peut dès lors mieux comprendre leur incroyable résilience face à un monde menaçant et convulsé et ne pas oublier cet atout exceptionnel dans le choix des investissements !