La presse a abondamment commenté l’ouvrage « The curse of cash » que vient de faire paraître l’économiste américain Kenneth Rogoff et qui peut se résumer au projet dictatorial d’abolir les espèces et de criminaliser l’argent liquide, à l’origine, selon lui, de tous les maux du système capitaliste.
Cette aberration est un serpent de mer qui revient régulièrement à la surface depuis quelques années; un des partisans de cette interdiction fut le Président de la Deutsche Bank qui s’exprima dans ce sens lors d’un forum de Davos; compte tenu des déconvenues ultérieures de cet établissement, on peut se poser des questions sur la pertinence de ses recommandations.
L’interdiction de la monnaie fiduciaire pose un double problème: d’abord celui de l’évolution de notre société qui tend déjà à se standardiser de plus en plus; si cette tendance perdure, d’ici quelques années, nous serons plus ou moins habillés de la même façon, consommerons des produits identiques, organiserons en commun nos loisirs, tout ceci en fonction des données fournies par les diverses cartes, de crédit ou de fidélité, que nous utiliserons à outrance, leurs émetteurs étant en mesure de dresser notre portrait de citoyen acheteur, d’après nos habitudes de plus en plus téléguidées, sans parler du puçage sous-cutané que solliciteraient déjà certains consommateurs afin de faciliter leurs affaires ! Nous nous trouverons insensiblement prisonniers du monde décrit par Orwell!
Cette évolution en soi n’est déjà guère séduisante, mais le second aspect de la disparition du cash est beaucoup plus inquiétant ; il trouve son origine dans l’introduction des intérêts négatifs, phénomène totalement inconnu dans l’histoire financière, mais datant maintenant de quelques années, et qui a été provoqué par un incroyable enchaînement de bévues sur lesquelles nous reviendrons plus bas. Si les intérêts négatifs ont désagréablement surpris l’investisseur privé passif, l’institutionnel a tenté de réagir avec brutalité, sous forme de retraits massifs, se chiffrant par centaines de millions que l’on retrouve dans des coffres forts, dont l’industrie, soit dit en passant, n’a jamais été aussi florissante, à l’image des compagnies qui les assurent.
Cet argent hors contrôle indispose les banques et les gouvernements qui rêvent de l’abolition du cash et d’une mainmise absolue sur l’argent. Tous les prétextes sont bons: Les Panama papers, ce qui est ridicule, les comptes concernés ayant été alimentés par des transferts électroniques et non par des porteurs de valises, ou la fortune de l’Etat Islamique, estimée à plus de 2’000 milliards de dollars, autre raison imaginaire, car elle consiste en biens matériels : immeubles, puits de pétrole, camions de transports etc.
Cette criminalisation de l’argent liquide n’a qu’un but : donner tous pouvoirs aux banques pour pouvoir pratiquer des « bail ins » afin de ponctionner, en cas de crise, les fonds des clients sans que ces derniers puissent réagir, et donner de l’air aux établissements concernés, submergés par la monnaie scripturale, mais très à court de billets. Les pouvoirs publics donneraient leur bénédiction en catimini, car ils estiment qu’ils ont payé leur part (en fait sur le dos des contribuables) après 2008 et qu’ils rêvent d’un contrôle absolu sur la population.
Abolir le cash reviendrait donc à priver les déposants de tout recours en cas de « short cut » (voir l’exemple chypriote !) et à les muer en moutons dociles.
Les apprentis gourous n’ont pas manqué dans l’histoire financière. Ce bon Monsieur Greenspan, respecté comme une sainte relique, était aux commandes lors de la débâcle de 1987 ; c’est lui qui a créé le désastre obligataire de 1994 en élevant violemment les taux ; il s’est aussi refusé à réglementer le marché des nouveaux instruments, aboutissant à la crise de 2008, avant de se spécialiser dans un langage ésotérique que les spécialistes devaient s’efforcer d’interpréter, lorsqu’il évoquait par exemple l’exubérance des marchés.
Monsieur Bernanke ne fut pas en reste ; sous son règne, le bilan de la Banque Fédérale passa de 800 à 4’000 milliards, provoquant un effondrement des taux; avec la complicité de Monsieur Hank Paulson, déterminé à sauver Goldman Sachs, son ancien employeur, il a donné sa bénédiction implicite à la faillite de Lehmann Brothers avec les conséquences que l’on sait.
L’Europe a eu aussi ses inspirés : Monsieur J.C.Trichet, obnubilé maniaque de l’inflation, a refusé avec acharnement d’envisager une baisse des taux, mais s’est attelé au rachat de dettes souveraines.
L’action désordonnée de ces acteurs a abouti au climat de déflation à la japonaise que nous vivons actuellement et qui risque de perdurer. La Suisse n’est pas à l’abri de ces gourous inspirés. La vénérable Banque Nationale est devenue un gigantesque Hedge-Fund, avec d’énormes positions en Euros et US dollars tandis que son stock d’or s’est ratatiné. Que ces monnaies étrangères chutent et les fonds propres de la BNS se volatiliseront ! Heureusement qu’une partie des devises étrangères a été investie, à telle enseigne que notre Institut est devenu l’un des plus gros actionnaires de Facebook ! Toutes ces erreurs d’appréciation, ces analyses sommaires, ces prises de risques dangereuses, ces projets déments créent un profond sentiment de malaise, d’autant plus que les échéances électorales d’Outre-Atlantique sont alarmantes. Devant la perspective d’avoir un président qui fera perdre au bas mot 1 trillion de dollars à leur économie, les Américains se protègent en achetant des pièces d’or à faible agio.
Nous ferions peut-être bien de leur emboîter le pas en les complétant par quelques billets pour les besoins immédiats !