La bouilloire – Mai 2024

Il n’y a guère que celui qui pourrait totalement échapper aux medias, en ne lisant pas, en n’écoutant pas ou en s’abstenant de regarder la télévision, qui saurait demeurer impavide face aux convulsions du monde. L’abondance de nouvelles nous mithridatise…

 

Il n’y a guère que celui qui pourrait totalement échapper aux medias, en ne lisant pas, en n’écoutant pas ou en s’abstenant de regarder la télévision, qui saurait demeurer impavide face aux convulsions du monde.

L’abondance de nouvelles nous mithridatise : proche de nous, en France, aurait-on pu imaginer il y a trois ou quatre ans qu’une adolescente fût battue à mort pour avoir osé s’habiller à l’occidentale ou qu’un gamin soit massacré pour avoir adressé un message à une gamine d’une autre confession, portant ainsi atteinte à l’honneur de la famille ? Des professeurs dévoués à leur cause sont égorgés, d’autres n’osent plus enseigner et doivent affronter des parents exaltés et menaçants.  

Dans des banlieues chics de nos grandes villes, Paris, Athènes ou Milan, des gamins se battent à mort avec des couteaux, ce qui donne à peine lieu à un entrefilet dans la presse du lendemain. Peu à peu, dans ces agglomérations, y compris dans nos régions limitrophes, des quartiers sont spontanément évités, car devenus infréquentables en raison du trafic de drogues et des règlements de comptes ; en France, 40 pharmaciens sont attaqués chaque mois. Aux USA, dans le Tennessee, les instituteurs sont dorénavant équipés d’une arme de poing, mais nous reviendrons ultérieurement sur la situation outre Atlantique.

En prenant de la hauteur, la situation globale du monde n’est guère plus réjouissante; on n’évoque que deux ou trois conflits alors que plus de cinquante sont devenus endémiques. L’invasion de l’Ukraine est angoissante à plus d’un titre ; le conflit s’enlise et le bel élan de solidarité occidentale en faveur de l’agressé s’assoupit, ce qui est d’autant plus périlleux que le locataire du Kremlin joue la carte mystique, celle de l’envoyé du Très haut, chargé d’une mission salvatrice. On ne le sait que trop bien : dès que la religion se mêle de politique, tous les dérapages sont possibles ; en l’occurrence, en cas de malheureuse victoire russe, la volonté de « purification » pourrait bien s’étendre vers les Balkans.

Autres braises qui rougeoient, l’attaque programmée de la Chine contre Taiwan dont les conséquences dans les domaines politiques internationaux et technologiques sont incommensurables, sans parler de l’Iran qui ronge son frein jusqu’à cette nuit du 13 avril qui vit pas moins de 300 drones et missiles foncer vers Israël avec un succès quasi nul grâce au bouclier de fer et l’action conjointe de la France, des USA et d’un certain nombre de pays arabes.

Outre-Atlantique, guère mieux, la société se délite, les vieilles valeurs symboliques sont à l’encan. L’orangé illuminé a faisandé le pays ; pour ses partisans, l’assaut du Capitol n’est qu’un fait divers monté en épingle par des médias gauchisants. Quelle que soit l’issue du vote de novembre, à moins qu’un troisième larron providentiel n’entre en lice, le clivage ira en s’approfondissant avec vraisemblablement des émeutes d’une grande ampleur et une flambée de l’inflation.

Pour des raisons explicitées dans de précédentes chroniques, la référence ou plutôt la dépendance au dollar a fortement diminué au profit d’autres devises dont le yuan. La flambée historique de l’or illustre ces revirements, encouragé qu’il est par l’action des banques centrales qui se délestent progressivement de la devise américaine (en une trentaine d’années, la part américaine dans les réserves des instituts nationaux a passé de plus de 70% à 50% à peine); même la poussée des crypto monnaies est peut être une conséquence de cette fuite en avant.

Entre le marasme qui se répand aux Etats-Unis et les menaces à l’encontre de notre continent, que faire ? Comme le disait récemment M. Charles Gave, fondateur de Gavekal, société de conseil en gestion d’actifs : « Nous entrons dans le temps des tempêtes ».

Entre les grondements en Europe et les convulsions croissantes en Amérique du Nord, revenons à nos régions. Il convient d’adapter la voilure du navire sur lequel nous naviguons : la Suisse. Premier constat par rapport à nos partenaires proches ou plus lointains, le climat social y est plus serein ; non pas que des familles ne soient pas en difficulté, mais l’Etat, peu ou prou, s’emploie à les aider. Il ne règne certes plus dans les écoles le climat des années 50, mais il y subsiste une certaine conception de la hiérarchie et les enfants acceptent un enseignement laïque sans le remettre systématiquement en question. La police locale est discrète et respectée ; apparemment, elle est efficace et dissuasive à la lecture de la baisse de la criminalité.

Notre pays a d’autre part une grande chance, c’est fondamentalement un pays pauvre ; on n’y trouve guère de ressources naturelles pouvant justifier une invasion, hormis l’eau, retenue par des barrages dont la destruction entrainerait de tels dégâts, dans le pays et chez nos voisins, que l’opportunité semble bien aléatoire. Le tissu industriel, dans le fameux triangle d’or, est certes dense, mais en quelques jours, il peut être mis hors d’usage pour une longue période.

Quant à notre devise, le franc suisse, elle est, dans la durée, la plus performante au monde grâce à divers facteurs dont la non-internationalisation des emprunts dans notre monnaie et la sagacité de la Banque Nationale qui n’a jamais succombé à la facilité de placer ses fonds à court terme auprès d’instituts concurrents ; au contraire, elle a privilégié, en toute discrétion, des engagements audacieux dans des secteurs en développement et extrêmement profitables comme Apple, Amazon ou Meta, sans oublier l’intangibilité du stock d’or qui dépasse les mille tonnes.

Vivant en Suisse, nous bénéficions d’atouts peu répandus ailleurs et qui nous permettent d’envisager l’avenir à moyen terme avec une sérénité relative.