Tic-tac,Tic-tac – Novembre 2023

Loin de nous l’idée d’évoquer l’industrie horlogère dans cette chronique. Hormis les premiers modèles de Swatch et les vénérables morbiers de nos campagnes, il y a bien longtemps que les garde-temps sont devenus silencieux. Ce qui nous interpelle en l’occurrence,…

Loin de nous l’idée d’évoquer l’industrie horlogère dans cette chronique. Hormis les premiers modèles de Swatch et les vénérables morbiers de nos campagnes, il y a bien longtemps que les garde-temps sont devenus silencieux. Ce qui nous interpelle en l’occurrence, c’est la réminiscence de ces films anciens où le silence s’interrompait par un bruit quasi imperceptible provenant d’une cachette abritant un faisceau de bâtons de dynamite reliés à un réveille-matin dûment équipé d’un détonateur. 

En l’occurrence, nous avons été alertés par un article paru récemment, évoquant Los-Angeles ; pas seulement le « Walk of fame », représentant les empreintes des stars d’hier et d’aujourd’hui, mais l’abime social et culturel séparant les quelque 80’000 personnes vivant dans la rue, des résidences de luxe valant souvent plusieurs dizaines de millions de dollars, situées à deux ou trois cents mètres des campements de fortune, ce qui ne semble guère émouvoir les nantis de la ville.

Plus près de nous, dans les grandes villes françaises, italiennes ou allemandes se sont créées des zones de non droit à peine plus structurées qu’outre-Atlantique, avec des logements souvent délabrés, soumises à la loi des trafiquants de drogues ou ponctuellement de prêcheurs religieux. Le péril y est tel que la police, même les pompiers, refusent de s’y rendre, par crainte d’être agressés au moyen d’armes à feu ou même par le jet de pavés ou de poutres métalliques entreposés sur les balustrades des balcons.

A Paris, la promiscuité équivoque est bien réelle avec un quartier de Belleville assez problématique, situé à moins de deux kilomètres de l’hyper centre devenu ultra riche. D’autres villes françaises, comme Marseille par exemple ou Montpellier, avec des taux de pauvreté dépassant les 26% et des règlements de comptes incessants, posent problème. Ces situations périlleuses ne sont pas l’apanage de l’Europe ou des Etats-Unis ; l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Extrême-Orient ne sont guère mieux lotis.

Des microcosmes tant soit peu artificiels échappent à la règle comme Andorre, Monaco ou la Suisse, mais nous reviendrons sur ce dernier cas.

Il ne faut pas déduire de qui précède que notre Monde soit pauvre, loin de là. Même si le chiffre est stratosphérique et hyperbolique, on estime la fortune de notre planète à près de 500’000 milliards de dollars, soit près de 90’000 dollars par habitant. Il y a sur Terre 63 millions de millionnaires, alors que 700 millions de terriens appartiennent à la catégorie des très pauvres et que 44% de notre population globale vit avec moins de 5.50 dollars par jour !

Là est le nœud du problème : une mèche allumée qui s’approche progressivement de l’explosif.

Entendons-nous bien, l’idée de cette chronique n’est pas de remettre en cause telle ou telle fortune ou la façon dont elle a été acquise ; il s’agit fréquemment du résultat d’un travail intense avec parfois un zest de chance comme celle de Jeff Bezos, qui a bénéficié des milliards de son père adoptif et réussi à les centupler.

Certains de ces richissimes ont certes une fibre sociale mais trop restreinte. En l’occurrence, s’ils veulent empêcher un embrasement social, ils doivent s’atteler à des chantiers gigantesques et pas seulement à soigner telle ou telle maladie, rassembler des collections d’œuvres d’art destinées à un public choisi ou encore encombrer notre ciel par le lancement de centaines de satellites.

La fin du 19ème siècle avait présenté un nombre important de grandes réalisations à caractère social. William Lever, créateur du savon Sunlight, fonda une ville, Port Sunlight, avec des constructions élaborées par les meilleurs architectes de l’époque, des écoles, des hôpitaux, des centres de distraction, des théâtres et des bibliothèques. De même pour Bournville, construite par la famille Cadbury.

Avec les moyens techniques actuels et la fortune dont ils disposent, ces milliardaires contemporains devraient s’atteler à l’édification, non pas de bourgades mais de régions entières, afin d’éradiquer progressivement la misère qui nous assiège et les dérives qui s’ensuivent. Un nouveau plan Marshall élaboré par quelques milliardaires, en accord avec les pouvoirs publics, pourrait être mis rapidement sur pied avec des effets tangibles pour les intéressés.

Idéalement, le concept s’étendrait aux pays du Tiers-Monde qui se privent de leurs ressortissants qualifiés, faute de pouvoir leur offrir un environnement social et économique adéquat.

Ne nous berçons pas d’illusions, nous vivons sur un volcan : nous avons eu des prémices avec les gilets jaunes ; il y a quatre ou cinq ans, des mendiants ont bousculé les gardiens ventripotents d’immeubles de la 5ème avenue à New York et ont forcé la porte de quelques appartements, non pas pour dérober de l’argenterie ou des Picasso mais pour vider le contenu de frigos, car ils avaient faim !

Il est d’ailleurs surprenant que les couches de la population socialement brimées ne se manifestent pas davantage par des manifestations ou des grèves, de l’impôt par exemple. Si 5’000 contribuables refusent de se soumettre, c’est gérable par l’État ; en revanche, si le chiffre s’élève à 100’000, l’administration ne peut strictement rien entreprendre.

En Suisse, pour des raisons de mentalité, l’atmosphère est plus sereine. Notre classe moyenne est relativement importante et ceux qui en seraient capables financièrement ne font pas de « show off ». Heureusement pour nous, on ne constate pas ce sentiment d’envie, comme c’est le cas au-delà de nos proches frontières, où l’affrontement des classes perdure en sourdine. On peut être riches sans extravagances.

Il est important de conserver cette attitude, garante de la pérennité d’une société équilibrée, avec une conséquence directe dans notre activité de gérants de patrimoines : la paix sociale est gardienne de la réussite au sein d’entreprises qui peuvent progresser sans arrière-pensée, avec un baromètre infaillible, notre franc, recherché au fil des décennies.