Rassurons-nous tout de suite, le titre n’est pas une anagramme anglaise et surtout pas porteur d’une intention blasphématoire ; bien au contraire. Il tend à décrire les aléas des douze mois que nous venons de passer et qui ont illustré diverses formes du cynisme, défini, rappelons-le, par les auteurs anciens comme un mode de vie apparenté à celui du chien qui mord, urine sur n’importe qui et copule n’importe où. A l’échelle de l’humain, celui-ci utilise les armes de la transgression et de l’ironie, en cherchant à démontrer qu’aucune des règles sociales n’est essentielle et que les interdits sont de nature à être bafoués.
Mais trêve de philosophie et venons-en aux faits.
Quand, au printemps 2022, le locataire du Kremlin a commis une agression violente contre un pays 28 fois plus exigu que le sien et trois fois moins peuplé, il s’est trouvé en Occident des partisans à la mémoire courte pour l’applaudir. Oubliés les répressions sauvages de la Hongrie, le Printemps de Prague et la masse des intellectuels pourchassés et déportés en Sibérie pour y mourir. Les mêmes ont souri niaisement à la vue d’un comédien porté sur le comique, se muer en quelques semaines en chef d’Etat, en commandant des armées, en redoutable débatteur, placide face aux multiples projets d’assassinat le concernant, concoctés par un septuagénaire à torse nu qui joue à cache-cache dans ses multiples résidences et qui se prend pour un représentant de Dieu sur terre, défenseur de la vraie foi avec l’appui de prélats dévoyés.
C’est à peine si on a repéré le piquant de l’h(H)istoire de voir le cynique de l’Est vouloir chasser les Nazis d’Ukraine alors qu’en catimini il finance la plupart des partis d’Extrême droite de l’Occident. Il a fallu quelques mois aux Occidentaux pour se préoccuper d’un conflit perdurant à trois ou quatre heures d’avion de leurs frontières. Les réactions furent d’emblée mitigées avec le souci de ne pas déplaire au grand partenaire du Nord ; les sanctions à son encontre furent prises très progressivement compte tenu de la difficulté à aliéner correctement les investissements locaux ; les Anglo-Saxons débutèrent les opérations, suivis par les Européens. On estime à environ 10% le nombre des entreprises occidentales ayant quitté totalement la Russie. Il est symptomatique d’examiner en détail les pays ayant pris la décision de freiner, voire de couper les relations avec l’agresseur venu du Nord. Ce sont précisément les pays de la région, donc voisins de ce dernier qui se montrèrent le plus intransigeants, comme la Finlande et la Suède qui demandèrent immédiatement un rattachement à l’Otan, suivis par la Norvège, tous ces pays suivant la logique implacable de leur mémoire.
Le Kremlin se trouva des amis assez disparates comme l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Iran, une partie du camp républicain trumpiste, la Chine, fragmentairement, en raison de ses intérêts commerciaux et militaires, sans évoquer la Corée du Nord à la recherche de vaines fiançailles et du Laos dont personne ne parle.
Les masques tombent progressivement ; le leader russe qui voulait éliminer des soit disant nazis ukrainiens collabore avec les milices fascistes composées de repris de justice, fréquemment des assassins condamnés à la perpétuité, sans qu’il en fût troublé. Il proclame sa prochaine victoire tout en renforçant les défenses anti-aériennes des immeubles du centre de Moscou et de ses résidences.
Sa seule réussite aura consisté à la renaissance d’un profond clivage dans le monde dont la seule préoccupation sera pour longtemps de s’armer. Finies les restrictions budgétaires, enterrées les limites de dette nationale. On n’évoque plus que les dissuasions et le réarmement général ; plus grave, la remise au placard des mesures en faveur de l’environnement mondial. Les marchands d’armes se frottent les mains : les USA, mais aussi la Russie dont les dépenses militaires ont crû de près de 43%, +169% depuis 20 ans, précédée par l’Allemagne (il est vrai très en retard) avec 8.5% et les Etats Unis avec près de 7%.
Les discussions relatives aux livraisons d’armes à l’Ukraine laissent un goût d’écœurement : on veut bien donner, mais pas trop ou en limitant l’utilisation de l’équipement : jusqu’à une certaine distance mais pas au-delà ! Tant pis pour les enfants ukrainiens déchiquetés par les bombardements. Ils n’ont qu’à attendre des jours meilleurs ! Les réfractaires à la livraison d’armes supplémentaires à l’Ukraine ne comprennent pas qu’ils vont ainsi encourager les états voyous à tout entreprendre pour se doter de l’arme nucléaire, meilleure garantie pour ne pas être agressé.
Le septuagénaire au torse nu n’est pas en reste. Ses pudeurs effarouchées sont enterrées ; on parle calmement et cyniquement maintenant d’une torpille russe gigantesque, le Poséidon, à tête nucléaire dont l’explosion pourrait déclencher un tsunami suffisamment puissant pour recouvrir tout le territoire de la Grande-Bretagne, sans parler des bombes à fragmentation que les Russes commencent d’utiliser. Cynisme toujours, on se retrouve dans la guerre de Bosnie au cours de laquelle l’étirement du conflit avait transformé la région en laboratoire d’essai des armes nouvelles. En l’occurrence, l’issue de la guerre est incertaine, hormis la certitude que l’image de la Russie est ternie pour des décennies.
Cynisme encore, lorsque le leader russe s’émeut de voir des tanks au drapeau allemand, lui rappelant le siège de Leningrad en oubliant que maintenant, c’est lui l’agresseur. Cynisme toujours quand le 21 février il prononce un discours interminable devant un auditoire hétéroclite d’inconditionnels actifs ou retraités, vaincu par la somnolence, accusant l’Occident d’avoir attaqué son Saint pays. Cynisme la veille où des ordres ont été donnés de suspendre les bombardements russes lors de la visite de M.J. Biden à Kiev tandis qu’ailleurs pendant ce temps-là, des centaines de jeunes des deux nations sont tués ou estropiés à vie.
Dans un domaine qui nous est plus proche, le cynisme atteint des sommets dans l’ignominie à la publication des résultats des entreprises profiteuses de guerre comme on disait dans le temps, dans l’armement bien sûr mais aussi dans la distribution alimentaire ou relevant de l’énergie. L’invasion de l’Ukraine, quelle que soit sa durée, aura donné un violent coup de volant à notre façon d’envisager et d’organiser notre existence ; ce sera l’objet de notre prochaine chronique.
La guerre est comme un minotaure qui engloutit la jeunesse ne laissant pour survivre que des vieillards cyniques (C.Chaplin) SA.