Il est grand temps de passer le relais – Rétrospective 2022

L’année 2022 qui avait débuté sur une note assez terne après les bons résultats de l’exercice précédent se mua rapidement en un exercice de tous les dangers. Les experts financiers qui, selon leur habitude décennale, s’étaient efforcés d’analyser en détail…

L’année 2022 qui avait débuté sur une note assez terne après les bons résultats de l’exercice précédent se mua rapidement en un exercice de tous les dangers. Les experts financiers qui, selon leur habitude décennale, s’étaient efforcés d’analyser en détail le mois de janvier afin d’en extrapoler une tendance pour l’ensemble de l’année, furent rapidement désavoués. L’exercice s’avéra plus vain que d’habitude en raison du Covid, qu’on croyait dépassé et qui repartit de plus belle en Chine avec l’ombre de mystères caractérisant ce pays. D’autre part, alors qu’on s’acheminait benoîtement vers un printemps sans grandes histoires, de but en blanc M. Putin déclencha le 24 février une « opération spéciale » contre l’Ukraine, attaque éclair qui aurait dû durer 3 ou 4 jours selon le Kremlin, mais qui se mua en guerre véritable s’enlisant irrémédiablement pour des mois, peut-être même des années.

Dès lors, on ne se contenta pas de brasser les cartes, on changea carrément de jeu : tour à tour s’enchainèrent une forte hausse du pétrole et du gaz et partant, une flambée de l’inflation. L’Europe se trouva brusquement plongée dans une crise énergétique aigue en raison de sa dépendance aux matières premières russes. Le pétrole gagna un tiers de sa valeur en quelques semaines et le gaz, bien plus encore. À cela s’ajouta le confinement de Shenzen, port de 17 millions d’habitants et capitale électronique chinoise, alimentant les craintes des investisseurs relatives aux disruptions des chaines d’approvisionnement de composantes électroniques. A ce propos, et sans vouloir jouer les Cassandre, il est quasi certain que le prochain conflit d’envergure opposera Taiwan à sa grande rivale continentale d’où des pénuries prévisibles accrues, sans parler de la Corée du Nord aux frémissements nucléaires convulsifs.

Le début de l’été avait coïncidé avec de nombreuses actions et interventions des présidents des banques centrales. La forte résurgence de l’inflation (8,6% en mai aux USA) avait contraint ces dernières à durcir le ton et augmenter leur taux directeur d’une manière plus ou moins coordonnée. La FED remonta quatre fois ses taux de 0.75%, puis de 0.50% à la mi-décembre, plus forte remontée annuelle depuis 2007. Même la BNS surprit les marchés par un mouvement violent, à l’échelle helvétique, de +0.5% en juin, puis en décembre. Il n’y a guère qu’en Chine et au Japon que les taux directeurs demeurèrent inchangés afin de stimuler l’économie locale, avec toutefois un taux d’inflation bien inférieur aux normes mondiales. L’Allemagne se maintint en stade d’alerte 2 de son plan d’urgence sur l’approvisionnement de gaz et se mit à surveiller de très près cette escalade dangereuse, en relançant à fond l’exploitation et l’utilisation du charbon, honni les années précédentes.

Dans ce contexte d’incertitudes inflationniste, monétaire, économique et énergétique, les marchés baissèrent globalement sur les deuxième et troisième  trimestres, avec parfois des mouvements d’une très grande amplitude, aussi bien à la hausse qu’à la baisse. En tentant d’analyser ces distorsions, on remarque qu’elles furent fréquemment le fait de spéculateurs professionnels, à grand renfort de dérivés et du recours à une gestion automatisée pas toujours maitrisable. Il devint dès lors périlleux de vouloir prendre le train en marche et de se lancer dans de telles opérations ; en définitive le repli sur soi, avec un portefeuille de bons titres à dividende s’avéra dès lors le meilleur rempart, à condition de s’accorder du temps et ne pas vouloir spéculer à la petite semaine.

Un peu partout dans le monde, et particulièrement près des frontières avoisinant la Russie, les jeunes générations firent montre d’une impatience croissante, à l’image des événements sanglants d’Iran où les Mollahs désemparés se rendirent compte qu’ils ne pouvaient  plus compter sur l’appui du grand frère du Nord, empêtré dans son aventure ukrainienne ne tournant guère à son avantage,  ou même de Chine où les Chinois arrivèrent à un point de rupture de la cohésion sociale avec la révolte hypothécaire : les acheteurs refusant d’honorer les échéances ; les biens immobiliers détenus se révélant  inachevés, conséquemment invendables avec une valeur marchande quasi-nulle.

La lutte anti-Covid, maladroitement orchestrée par un gouvernement recourant à des mesures arbitraires inhumaines telles que la soudure des portes d’habitation, entraina une contestation dans la rue, accompagnée de slogans appelant à la démission de Xi Jinping  dont la réélection avait été mal accueillie, à telle enseigne que le yuan perdit d’emblée près de 15% et que les milliardaires chinois s’employèrent à accélérer l’exode de leurs capitaux vers l’étranger. Ceci rappela l’année 2015 quand des millions de Chinois avaient exporté leurs économies pour ne pas voir leurs actifs financiers perdre de la valeur suite à la dévaluation de la  monnaie.

Les marchés occidentaux se révélèrent désemparés par les problèmes d’un partenaire commercial de cette envergure qui les avait habitués à une chape de  plomb cyniquement rassurante. Les lobbies chinois qui retirent des profits pharamineux des tests (deux par semaine à plus de 5 euros chacun) tentèrent de freiner les velléités d’assouplissement des mesures sanitaires. La révolte se mit à gronder aussi au sein des anciennes républiques soviétiques, témoignant d’un profond malaise de la société, lassée d’un rigorisme d’un autre âge et fondamentalement hostile au conflit ukrainien. Le dernier congrès de l’OTSC (équivalent communiste de l’Otan) en fut la démonstration avec une froideur évidente des leaders communistes à l’égard de M. Putin. Le phénomène n’est pas anodin car ainsi que le mentionnait un géopoliticien connu, les empires se désagrègent irrémédiablement aux frontières.

Au plan des affaires, on observa une dichotomie de plus en plus marquée entre le comportement des marchés boursiers exagérément attentifs à l’évolution des taux d’intérêts et de l’inflation, et les résultats spectaculaires d’entreprises s’accommodant aisément de l’envolée des prix et envisageant froidement d’augmenter ces derniers, avec l’assurance que l’impact sur les acheteurs serait négligeable. Dans cet ordre d’idées, on enregistra les excellents résultats de Renault, d’Essilor Luxottica, de Kering ou de l’Oréal, sans parler d’Hermès qui annonça d’ores et déjà une augmentation des prix pour 2023 pouvant atteindre 10% selon les articles.

Précédemment, dans le cadre d’autres chroniques, nous avions insisté sur la quasi nécessité de détenir des actions pour parer au renchérissement, en insistant sur les secteurs en mesure de s’adapter aisément aux nouvelles conditions du marché. D’ailleurs, dans cet environnement complexe, on commença de déceler des lueurs d’espoir : aux USA, les tensions sur le marché de l’emploi se dissipèrent progressivement, les chaines d’approvisionnement mondiales se normalisant ; et si les Etats se révélèrent endettés, les entreprises et les ménages en revanche parurent bien capitalisés et en mesure de traverser le retentissement économique sans trop d’encombres. A ce propos d’ailleurs, les gouvernements envisagèrent de prendre en charge une partie de la facture énergétique.

Enfin, et surtout, la timidité jusqu’ici des investisseurs pourrait entrainer des flux massifs d’achats à la moindre reprise de l’environnement. On en eut une première démonstration le 10 novembre après les résultats de mi-mandat aux USA, plutôt favorables au parti démocrate, la déferlante rouge annoncée par M. Trump n’ayant pas atteint le rivage, et surtout l’avance démocrate au Sénat qui vint confirmer le changement de tendance. Un  recul marqué du taux d’inflation encouragea les marchés.

La turbulence de ces derniers avait déjà été évoquée par Warren Buffet par une formule lapidaire : « La bourse est le lieu où l’argent des impatients est transféré aux gens patients » ; la volatilité est partie intégrante des investissements ; il faut donc savoir s’en accommoder sans succomber au pessimisme, en gardant en mémoire que sur la durée, les investissements boursiers sont de très loin les plus productifs avec un rendement annuel moyen de plus de 12% par rapport à 6% pour les obligations et 3% pour l’or, le foncier tournant autour de 9% (chiffre de la région parisienne).

L’attente et l’inaction sont les vertus essentielles de l’investisseur, il convient de le garder en  mémoire lors des périodes troubles. Une année chaotique s’achève enfin, riche de ferments qu’on souhaiterait en majorité stériles.