La termitière funeste (2) – September 2017

Il fut un temps où l’adolescent dont le menton commençait de s’orner d’un duvet viril, se rendait, accompagné d’un père, d’un oncle ou d’un grand frère, chez Rasora, spécialiste connu internationalement,

 et étape obligée pour un futur adulte qui recevait tous les conseils dont il pouvait avoir besoin et acquérir le matériel de rasage adéquat.

Il fut un temps où la future ménagère ou la maîtresse de maison accomplie, à la veille d’organiser un grand dîner, se rendait chez Girard aux Grottes, derrière la gare, afin de se procurer l’instrument perfectionné destiné à créer des merveilles dans l’harmonie des plats et leur présentation. Les deux enseignes, terrassées par l’Internet sont, soit déjà fermées, soit en voie de l’être, les animateurs s’étant lassés de jouer les conseillers bénévoles d’acheteurs en ligne qui ne se contentaient plus d’images pour procéder à l’acquisition d’un objet, mais souhaitaient le voir, éventuellement le palper, le soupeser et profiter gratuitement d’une expertise.

Cette évolution est à mettre en parallèle avec la croissance puissante des leaders de l’Internet que sont Apple, Amazon, Google ou Facebook ; comme disait plaisamment un chroniqueur « j’ai des milliers d’amis sur Facebook, mais personne qui puisse me donner un coup de main pour pelleter la neige ou repeindre la barrière. » La société se disloque ; il y a longtemps que les gosses ont abandonné le ballon dans la cour pour consacrer leurs après-midis, à jouer par écrans interposés avec un autre gamin habitant à quelques centaines de mètres.

Il est d’ailleurs effrayant de voir avec quelle frénésie, des adolescents, même des adultes, publient jusqu’au moindre détail, les péripéties insignifiantes de leur petite vie, sans se douter ou simplement imaginer que ces données, compilées, puissent un jour, avoir un effet de boomerang contre leurs diffuseurs.

Malheureusement, les choses ne s’arrêtent pas à ces gaminerie : consciemment ou non, les utilisateurs laissent sur la Toile des traces indélébiles sous forme de données personnelles ou de mots de passe en ignorant que les groupes électroniques emmagasinent systématiquement ces données, d’abord dans un but commercial afin de mieux cibler leurs victimes ou acheteurs potentiels, avant d’établir leur pédigrée exhaustif.

Même les cyberattaques, comme on les désigne, n’ont finalement que peu d’impact sur des mentalités déjà tétanisées, les gens ne se doutant pas qu’un énorme court-circuit, touchant les sources d’approvisionnement d’eau, de pain et de viande, ou encore les transports par train, avion ou bateau sans parler des péages, paralyserait totalement notre monde. On peut être quasiment certain qu’au niveau de la planète, plusieurs professeurs « Folamour » seraient séduits par cette expérience mortifère.

D’une façon récurrente avec une obstination révoltante, des pouvoirs publics, des banquiers ou pire, des économistes, préconisent l’abandon du numéraire, bouclant ainsi la boucle : la mort d’un libéralisme péniblement échafaudé et son remplacement par une termitière gigantesque, animée par des ouvrières imbéciles et des soldats lobotomisés